DECLARATION SUR L'EVOLUTION DE LA SITUATION POLITIQUE
EN COTE D'IVOIRE

11 janvier 2000

L'Institut National Démocratique pour les Affaires Internationales (NDI) fait la déclaration ci-dessous qui s'inscrit dans le prolongement de la déclaration préliminaire publiée par la délégation internationale, parrainée par le NDI, qui s'est rendue en Côte d'Ivoire du 12 au 18 décembre 1999[1]. La délégation du NDI a fait une évaluation des préparatifs pour les élections de l'automne 2000 et du climat politique pré‑électoral.

Une semaine après la conclusion de la mission de décembre du NDI, une mutinerie dirigée par le général Robert Guéï a conduit au renversement du gouvernement Bédié et à la dissolution de l'Assemblée Nationale. Depuis, une "Commission de sauvegarde de la République" a été créée afin de superviser la formation d'un gouvernement de transition qui devrait conduire au retour le pays à un retour au régime démocratique et civil.

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Les Ivoiriens et les démocrates du monde entier s'attendent à ce qu'un gouvernement et des institutions représentatives répondant aux besoins de la population soient bientôt mis en place. La légitimité de ce gouvernement doit avoir pour origine la volonté du peuple exprimée librement dans des élections véritablement démocratiques. La transition dans laquelle la Côte d'Ivoire s'est maintenant engagée doit servir à résoudre les problèmes fondamentaux avec lesquels le développement démocratique a été pris et doit établir les fondements nécessaires à l’organisation et au déroulement d’élections authentiques qui font participer tout le monde aussi qu’un retour rapide à un régime démocratique civil.

Au cours de 1999, le gouvernement du président Bédié s’est montré de moins en moins respectueux des principes et des pratiques démocratiques et très peu enclin à un dialogue authentique avec les leaders de l'opposition concernant les questions importantes pour le pays. Les institutions financières internationales ont exprimé leurs préoccupations concernant la corruption dans la haute sphère de l’Etat alors qu'une série de manœuvres et de manipulations juridiques faites par le gouvernement Bédié pour museler l'opposition et la contestation en Côte d'Ivoire a provoqué l'exacerbation des tensions. Le gouvernement semblait ne pas être conscient des conséquences des tensions ethniques et politiques croissantes dans le pays. L'effet cumulé des actions du gouvernement Bédié aurait faussé la compétition électorale, en privant les citoyens de Côte d'Ivoire de l'occasion d'exprimer librement leurs opinions, et en déterminant pratiquement d'avance le résultat des prochains scrutins. Il apparaissait que le gouvernement Bédié était résolu à perpétuer son pouvoir politique à tout prix.

Étant données ces actions, de nombreux Ivoiriens ont accueilli favorablement sa chute; cependant, en dépit des faibles atouts démocratiques du gouvernement Bédié, la manière avec laquelle ce gouvernement a été remplacé a suscité de graves préoccupations concernant l'avenir de la démocratie en Côte d'Ivoire. Les comportements non démocratiques des gouvernements combinés avec des forces militaires non professionnelles créent une tendance perturbatrice qui fait que les soldats se sentent enhardis à recourir à des coups d'état chaque fois qu'ils ont des revendications ou des ambitions politiques. Une force militaire politisée peut également tenter des hommes politiques civils d'avoir recours aux forces armées afin d'intervenir lorsqu'ils ne peuvent pas obtenir le soutien du peuple. Les coups d'état sont une violation fondamentale des principes et des pratiques démocratiques dans l'institution de changement politique par voie d’élections authentiquement démocratiques. Quelles que soient les intentions déclarées et les revendications mentionnées par leurs auteurs, les coups d'état militaires mettent en péril la confiance envers les processus démocratiques. Car, en dernier ressort, la démocratie, réside dans les moyens par lesquels on cherche à atteindre des fins politiques.

Les actions du gouvernement Bédié et l'apparition d'un régime militaire jettent des doutes sur les chances d'un régime démocratique en Côte d'Ivoire. Dans ces circonstances, des mesures extraordinaires doivent être prises d'urgence pour rétablir la confiance des Ivoiriens dans l'avenir de la démocratie dans leur pays. Ces mesures doivent être guidées par les principes d'équité et de transparence. La crédibilité de toute la transition toute entière dépendra de processus constitutionnels et de réformes électorales justes et que les Ivoiriens perçoivent comme tels.

Bien que le régime militaire ait déclaré publiquement ses intentions de mettre en œuvre une transition vers un régime démocratique civil, le calendrier de la transition n'est toujours pas déterminé, tout comme le rôle des leaders du coup d'état dans le cadre de l'avenir politique du pays. Dans ce climat d'incertitude, la confiance qu’ont les Ivoiriens et la communauté internationale en l'engagement pris par les forces militaires d’opérer une transition réalisable vers un régime démocratique civil risque de faiblir, à moins que tous les secteurs de la société ivoirienne ne soient à même de participer pleinement à cette transition.

CONCLUSIONS ET OBSERVATIONS DE LA DÉLÉGATION DU NDI

La délégation du NDI a visité la Côte d'Ivoire à un stade critique de l'évolution du processus démocratique. La montée des tensions politiques avait créé une atmosphère qui compromettait la tenue d'élections ouvertes et transparentes en l'an 2000. Au même moment, les Ivoiriens étaient confrontés à des problèmes sociaux et économiques qui exigeaient une gestion des ressources plus responsable et plus transparente.

Au cours de la période électorale de 1995, les partis politiques n'étaient pas tombés d'accord sur le cadre juridique de l'élection présidentielle.  Ce désaccord avait abouti à un boycott actif des élections par les deux principaux partis de l'opposition et à des échauffourées lors des élections dans certaines régions. Bien que les principaux partis aient ensuite accepté de participer aux élections législatives qui ont suivi, ils ont continué d'exprimer leur opposition au système d=inscription sur les listes électorales et à la gestion du processus électoral. Des entretiens préliminaires et des consultations avec les partis politiques de 1998 à 1999 avaient débouché sur un certain nombre d'améliorations. La délégation a constaté que certaines mesures avaient été prises en vue de créer un cadre adapté aux élections nationales de l'an 2000 en Côte d'Ivoire. Ces mesures comprennent des efforts louables pour préparer une révision exhaustive des listes électorales et une réforme de la législation afférente aux élections, récemment approuvée par l'Assemblée Nationale.

En dépit de ces efforts, la délégation a noté de sérieux problèmes touchant aux principes fondamentaux de la démocratie et à la participation politique, ce qui l'a fortement inquiétée quant aux perspectives de régime démocratique et d'élections dignes de ce nom. Des dirigeants de l'opposition avaient été arrêtés et emprisonnés en vertu d'une loi qui, indirectement, aboutissait à restreindre la liberté de réunion et d'expression. La délégation fut aussi préoccupée par des questions soulevées quant à l'indépendance de la justice et par d'autres questions non résolues sur l'administration du processus électoral et les dispositions juridiques s'y rapportant. Compte tenu du contentieux électoral et des violences qui s'étaient produites antérieurement lors des élections de 1995, la délégation a fortement insisté pour que soient prises d'importantes mesures supplémentaires permettant de créer l'environnement et les conditions nécessaires à l'existence d'un processus électoral transparent jouissant de la confiance du peuple ivoirien.[2]

Plusieurs des observations faites par la délégation en décembre restent pertinentes pendant le processus actuel de transition.

Incarcération des responsables des partis politiques. L'existence des partis politiques et la liberté d'action de ces derniers sont au cœur d'une démocratie plurielle. Un discours politique, une participation, authentiques et ouverts, sont impossibles dès lors que les responsables de n'importe quel parti sont en prison, à moins que la détention ne résulte de condamnations basées sur un processus judiciaire indépendant, dans le respect total des protections accordées par la règle de droit. Lors de la mission d'évaluation de décembre, neuf membres de la direction du RDR étaient emprisonnés. Prenant acte de l'effet négatif que ces incarcérations avaient sur le climat politique, la délégation avait insisté sur le fait que les responsables du RDR devaient être libérés aussi rapidement que possible pour diminuer les tensions et renouer le dialogue sur les problèmes d'actualité importants. Depuis le coup d'état du 24 décembre, des membres du Parti Démocratique de la Côte d'Ivoire (PDCI) sont incarcérés ou détenus par la junte militaire.  Eux aussi doivent jouir des garantis existant dans un Etat de droit.

L’affaire Ouattara. l'époque de la visite de la délégation du NDI, un certain nombre de problèmes était en suspens concernant la nationalité d'Alassane Dramane Ouattara, son éligibilité à la présidence du RDR et à la présidence du pays. A l'époque, un mandat d'arrêt avait été lancé contre Ouattara. Si la délégation n'a pas pu enquêter sur le fond du problème, la façon de procéder suggérait fortement que ces allégations étaient politiquement motivées et avaient pour but de bloquer sa candidature et sa participation à la vie politique du pays. La délégation a observé que le fait de l'empêcher de présenter sa candidature et de diriger un parti politique sans raison valable aurait été interprété par de nombreux Ivoiriens comme un déni du droit de choisir librement lors des élections et que cela aurait eu un effet néfaste sur l'intégrité du processus électoral.

L'indépendance du pouvoir judiciaire.  Si l'indépendance du pouvoir judiciaire est une pierre angulaire de toutes les sociétés démocratiques, elle devient encore plus importante lorsque les droits des particuliers et des citoyens sont en jeu. La délégation a noté que la crise politique des cinq mois précédents avait fortement entamé l'intégrité et l'indépendance du pouvoir judiciaire ivoirien. La délégation a déploré les cas de manipulation politique des tribunaux à des fins politiques.

Il est encourageant de noter que les poursuites en cours contre les responsables des partis d'opposition ont été abandonnées. Toutefois, la mise en examen de Ouattara, le déroulement des procès des responsables du RDR et le renvoi immédiat de toute action en justice après la chute du gouvernement Bédié, confirment la perception d'un pouvoir judiciaire hautement politisé.

Liberté de réunion. Un décret-loi promulgué par Bédié qui limitait les "manifestations dans les lieux publics" permettait d'empiéter sur les droits des partis politiques, des associations professionnelles et des syndicats à organiser des activités à l'intention de leurs membres et sympathisants et à exprimer des opinions en public.  La loi (anti-casseurs) qui engageait la responsabilité pénale des responsables politiques en cas de détérioration de biens pendant les manifestations organisées par leurs soins, pouvait être facilement manipulée afin d'éliminer des opposants politiques.  L'arrestation des responsables du RDR en octobre 1999 avait mis en lumière l’effet désastreux que la loi avait sur les futures élections et sur la vie politique en général. Les Ivoiriens ont aussi cité des incidents au cours desquels les personnels de sécurité ont violemment dispersé des manifestations et ils ont indiqué que ces interventions avaient eu un effet négatif sur des réunions qui, par ailleurs, étaient pacifiques.

Accès aux médias d'État. La radio et la télévision d'État sont les seuls médias qui atteignent presque toutes les régions de la Côte d'Ivoire.  La délégation a entendu des plaintes sur le manque d'équité en matière d'accès (droit de réponse compris) et de couverture des activités des partis politiques dans les médias d'État. Dans un passé récent, les partis d'opposition, les associations professionnelles et les syndicats ont organisé des manifestations prônant une meilleure représentation des diverses opinions dans le secteur public et national des médias.

Le rôle des médias dans le discours politique.  La presse écrite joue un rôle très remarqué dans le discours politique, en particulier à Abidjan. Si la liberté de la presse est essentielle dans un système démocratique, les journalistes ont aussi le devoir d'informer leurs lecteurs de façon précise et impartiale. La nature partisane d'un certain nombre de médias en Côte d'Ivoire a exacerbé les différences politiques et a contribué à créer un climat dans lequel il est devenu de plus en plus difficile de distinguer la réalité de la fiction. Le public n'a donc pas pu se faire une opinion avertie sur les événements qui pesaient sur la vie politique du pays.

Gestion des élections.

La législation qui régit la création d'une commission de contrôle des élections qui a été approuvée par l'Assemblée Nationale en décembre a prévu que les partis politiques et la société civile seraient représentés à cette commission et que les agents électoraux seraient nommés par la commission plutôt que par le ministère de l'intérieur et de la décentralisation ou par les préfets, comme c'était le cas dans le passé. Bien qu'elles améliorent les dispositions relatives à l'administration impartiale des élections, ces modifications n'ont pas répondu aux attentes de la plupart des partis politiques et des Ivoiriens non partisans qui souhaitaient une commission électorale qui soit indépendant et neutre.

Améliorations récentes du cadre juridique des élections. La défunte Assemblée Nationale avait récemment adopté des modifications au code électoral, approuvé l'élection de tous les membres du Sénat (qui n'avait pas encore été installé), le financement public des partis politiques et la création d'une commission de contrôle des élections. Ces changements traduisaient l'amélioration du cadre juridique électoral, même si les délais dans lesquels ils seraient promulgués et appliqués n'étaient pas clairs. Toutefois, les partis politiques ont exprimé le besoin de discuter des modifications supplémentaires dans un certain nombre de domaines, à savoir l'âge minimum des électeurs, l’emploi du bulletin unique, la distribution des cartes d’identités, le découpage électoral et les dispositions régissant le deuxième tour des élections présidentielles.

Inscription des électeurs sur les listes électorales.  La révision des listes électorales est en cours. La délégation a noté que le ministère de l'intérieur avait rencontré le PDCI, le Front Populaire Ivoirien (FPI), et le RDR pour leur expliquer la méthodologie de mise à jour des listes électorales. Les représentants des principaux partis politiques ont été satisfaits de la méthodologie adoptée et avaient l'intention d'encourager leurs partisans à s'inscrire. A l'époque de la visite du NDI, les partis politiques avaient déjà exprimé des réserves, se demandant si des ressources suffisantes seraient allouées pour gérer le volume des inscriptions. D'autres se sont plaints que la commission n'avait pas été créée à temps pour superviser toute l'opération.

Mode de scrutin. La Côte d'Ivoire dispose pour l'instant d'un mode de scrutin à bulletins multiples des adeptes. Les partisans de ce système ont déclaré que l'utilisation de bulletins multiples aiderait les électeurs analphabètes à manifester leur choix. D'autres Ivoiriens préfèrent le bulletin unique moins susceptible, d’après eux, de manipulations et renforçant le droit des électeurs au secret du scrutin.

Le système du deuxième tour des élections présidentielles.  De récents amendements du code électoral ivoirien prévoient qu'aux élections présidentielles, dans l'hypothèse où aucun candidat ne remporte la majorité absolue des voix, un deuxième tour de scrutin sera organisé. Toutefois, tous les candidats qui se présentent au premier tour ont le droit de se représenter au deuxième tour et le candidat qui obtient le plus grand nombre de voix est alors élu. Dans ce système, un candidat ayant obtenu seulement la majorité relative peut devenir président. La délégation a entendu la préoccupation qu’un candidat à la présidence soit élu par un tout petit pourcentage d'électeurs, ce qui l’empêcherait de recueillir un appui suffisant et d’obtenir la légitimité requise pour gouverner pacifiquement en période post-électorale. En général, dans les systèmes de scrutin à deux tours, seuls les deux candidats ayant recueilli le plus grand nombre de voix ont le droit de se représenter au second tour, ce qui élimine la possibilité d'un vainqueur jouissant d'un mandat populaire relativement restreint.

Découpage des circonscriptions électorales Les partis de l'opposition se sont plaints du fait que la répartition actuelle des sièges à l'Assemblée Nationale penche lourdement en faveur du PDCI. Ils ont avancé que dans les régions traditionnellement favorables au PDCI, les députés de l'Assemblée Nationale représentent, en moyenne, environ 39.000 personnes tandis que dans les régions perçues comme places fortes de l'opposition, la représentation est d'environ 71.000 personnes par député. Une telle disparité est contraire au principe démocratique de représentation égalitaire des citoyens ivoiriens à l'Assemblée Nationale et à celui de l'égalité des voix et des suffrages. Les résultats du recensement qui venait juste d’être terminé n’avaient pas encore été publiés lors de la visite de la délégation.

RECOMMANDATIONS ET CONCLUSIONS

Alors que le régime militaire actuel en Côte d'Ivoire a promis de créer le climat politique nécessaire permettant des élections et un régime authentiques et crédibles, les Ivoiriens et la communauté internationale attendent de voir si des actes appropriés suivront les engagements verbaux pris par le général Guéï et les militaires.

Les normes internationales exigent du processus électoral qu'il soit transparent et du système politique qu'il permette une participation directe et à part entière des candidats et de leurs partis. Elles requièrent un cadre juridique solide et une administration électorale impartiale, efficace et dont les activités sont transparentes. Elles exigent aussi un climat politique dans lequel les partis politiques et les candidats sont libres d'organiser des rassemblements pacifiques et autres démonstrations de soutien public, et dans lequel ils sont traités par les médias, de façon égalitaire, afin de bénéficier d’un accès égal et faire passer leurs messages.

D'après l'expérience du NDI dans plus de 50 démocraties émergentes dans le monde, il est clair que la confiance accordée au système politique et le sentiment d'un système équitable comptent autant que les textes de loi eux-mêmes  L'expérience montre aussi que dans le monde, une fois érodée la confiance d'une grande partie de la population, ce qui est généralement le cas des régimes autocratiques ou militaires, les pouvoirs publics doivent prendre des mesures extraordinaires pour rétablir la confiance de la population dans le système politique et dans les processus électoraux du pays.

Les responsables actuels du pays doivent mettre à profit la période de transition pour créer les conditions de véritables élections démocratiques, et pour jeter les bases d'institutions démocratiques viables et transparentes et celles d'un gouvernement responsable. Tous les partis politiques doivent être autorisés à entrer librement et pleinement dans la course électorale. Pour assurer la participation de tous et l'intégrité du système politique, il faut que le dialogue entre les partis soit engagé et qu'un consensus se dégage pour que le pays avance. C'est dans un esprit de coopération internationale que le NDI offre les recommandations suivantes.

Date ferme et calendrier du retour au pouvoir civil et démocratique. Les militaires au pouvoir doivent publier immédiatement la date ferme et le calendrier du retour au pouvoir civil et démocratique. Ce calendrier doit contenir des points de repère spécifiques sur l'institutionnalisation de vrais principes et pratiques démocratiques en Côte d'Ivoire. Ce calendrier doit prendre en compte le facteur temps et doit attribuer des ressources pour permettre un processus électoral qui se déroule dans la transparence et l'inclusion. Il est nécessaire d’accorder une attention spéciale à l'établissement de mécanismes qui permettent de faire entendre les doléances des militaires, d'en tenir compte plus tard et de renforcer les moyens de communication entre les législateurs, le pouvoir exécutif et les militaires, afin de promouvoir des relations entre civils et militaires qui soient saines et conformes aux normes démocratiques internationales. Il a été dit qu'une nouvelle commission serait établie pour recommander des amendements à la constitution qui fixeront la "règle du jeu" pour les prochaines élections. Il est impératif que tous les secteurs de la société ivoirienne soient représentés équitablement dans ce processus de révision constitutionnelle et que la commission accomplisse sa tâche d'une manière ouverte et non partisane.

Incarcération des responsables des partis politiques Puisque les responsables du RDR sont maintenant libres, il faudrait prendre des dispositions pour qu'ils puissent voir leurs droits civiques et politiques rétablis et pour qu'ils puissent se présenter aux élections s'ils le désirent.  Il faut aussi résoudre, impérativement et avec célérité, tous les problèmes juridiques liés à l'incarcération des leaders du PDCI et faire connaître publiquement les raisons de leur incarcération. Ils doivent être traités de façon égalitaire devant la loi, ils doivent recevoir une protection égale en vertu de la loi (libre de toute discrimination de nature politique) et bénéficier d'une procédure judiciaire régulière et sans retard. Il est urgent que la junte respecte la procédure régulière pendant l'enquête portant sur toute allégation de méfait pour que les citoyens ivoiriens ne soient pas privés de leurs droits et libertés élémentaires. La détention persistante d'individus sans qu'ils soient jugés est une atteinte aux droits de l'homme B droits universellement reconnus B qui compromet l'engagement déclaré du régime vis-à-vis la démocratie.

Éligibilité aux postes politiques.

La délégation a reconnu que les problèmes juridiques qui auraient pu empêcher Ouattara de devenir responsable du RDR ou de se présenter aux élections présidentielles ont eu un effet négatif sur le climat politique. Les Ivoiriens doivent examiner et modifier, s'il le faut, les impératifs d'éligibilité aux postes politiques et de citoyenneté dans le pays afin de tenir compte de la nature de l'Etat-nation ivoirien et afin d'éviter des problèmes similaires dans l'avenir. Les Ivoiriens insistent pour que les critères choisis soient appliqués également à tous les futurs candidats ou personnes postulant à des fonctions publiques.

Neutralité du rôle du gouvernement de transition. Vu que le gouvernement de transition actuel a déclaré son intention de rester neutre dans l'organisation des élections de transition, les prochaines élections pourraient être les plus compétitives que la Côte d'Ivoire ait jamais connues. Pour ce faire, le gouvernement de transition doit appliquer la neutralité la plus stricte envers l'ensemble des partis et des candidats. Cette transition ne se fera que grâce à la coopération des Ivoiriens et uniquement s'il existe au plus haut niveau une volonté réelle de pratique non partisane. Toute tentative par les membres de l'équipe de transition de se présenter aux élections en exploitant leur situation personnelle saperait la crédibilité du programme de transition dans son ensemble.

Gestion des élections

Il importe que les autorités électorales soient impartiales et compétentes et qu'elles soient perçues comme telles par les candidats et la population. Quand les élections sont administrées par un ministère au service du régime en place ou dun candidat éventuel, l'organisation impartiale des élections peut être compromise. Étant données les accusations antérieures de partialité portées contre le ministère de l'intérieur dans son administration des élections, les Ivoiriens doivent envisager de créer un organe indépendant pour les élections de l'an 2000. Les partis politiques et les organisations non gouvernementales impliqués dans des activités démocratiques et de gouvernance doivent pouvoir pleinement surveiller tous les aspects du processus électoral, y compris l'inscription sur les listes électorales, la campagne elle-même, le scrutin, le décompte des voix et la publication des résultats définitifs. Les pouvoirs publics doivent s'assurer que la nouvelle commission dispose des ressources financières et humaines nécessaires et qu'elle commence à fonctionner sur un mode qui inspire aux Ivoiriens confiance dans l'administration pour une supervision impartiale et réelle du processus électoral. Il faut que cela se fasse le plus rapidement possible pendant la période de transition. L'étanchéité la plus stricte doit être maintenue entre les candidats ou autres groupes d'intérêts partisans et l'organe d'administration du processus électoral.

Indépendance et intégrité du pouvoir judiciaire.  D'après les récents événements, la population ressent une politisation du pouvoir judiciaire ivoirien. C'est pourquoi des mesures extraordinaires doivent être prises en vue de restaurer la confiance dans la justice ivoirienne le système judiciaire de la Côte d'Ivoire. Les membres du système judiciaire et les responsables politiques du pays doivent défendre l'Etat de droit et l'indépendance du système judiciaire en tant que principes au cœur d'une société démocratique. Les citoyens doivent avoir entièrement confiance dans le système judiciaire. C'est pourquoi l'égalité devant la loi et l'égale protection du droit doivent être accordées à ceux des membres du PDCI qui sont détenus ou qui ont été mis en examen, de même que ceux-ci doivent bénéficier d'une procédure judiciaire régulière dans les meilleurs délais. Cela va entraîner, entre autres, une procédure accélérée à l'encontre de toutes personnes, conformément aux normes internationales en vigueur, pour l'égale protection du droit et l'ouverture des débats aux observateurs et défenseurs des droits de l'homme. Des mesures supplémentaires relatives à la formation juridique et déroulement de l’instance peuvent s'avérer nécessaires, une fois que le retour à un gouvernement démocratique et civil sera accompli.

Liberté de réunion. Il faut espérer que les lois qui restreignent les manifestations publiques et qui font endosser la responsabilité pénale aux leaders politiques en cas de dommages matériels commis lors des manifestations organisées par eux seront abrogées ou soumises à de strictes garanties pour éviter à l’avenir des abus. Le droit de se réunir paisiblement doit bénéficier de garanties juridiques et être renforcé par des déclarations et actes publics des responsables gouvernementaux.

Poursuite du dialogue sur les questions électorales.  Tous les partis politiques doivent continuer des discussions ouvertes sur les problèmes non résolus et les possibilités d'amélioration du processus électoral. Ces problèmes se rapportent, entre autres, à l'âge minimum des électeurs, au découpage électoral, à l'emploi du bulletin unique et au deuxième tour des élections présidentielles. L'expérience d'autres démocraties émergentes dans le continent africain montre que les avantages du bulletin unique doivent être envisagés puisqu'il a été mis en application avec succès dans des conditions d'alphabétisation identiques à celles de la Côte d'Ivoire. Il est également urgent de publier les résultats du recensement et de les utiliser pour parvenir à une répartition plus équitable des sièges à l'Assemblée Nationale. La période de transition peut être mise à profit pour poursuivre les discussions entre les partis sur ces questions.

Problèmes concernant les médias.  Étant donné que le parti pris de la couverture médiatique est souvent cité comme étant une des causes de la polarisation du discours politique dans ce pays, les autorités ivoiriennes doivent prendre des mesures immédiates et efficaces pour garantir une couverture exacte et équilibrée des partis politiques, des éventuels candidats, et des questions importantes se rapportant au processus politique. Des directives doivent être édictées pour les médias contrôlés par l'État concernant des tranches horaires équitables attribuées à tous les partis politiques et aux candidats; de même, l'exactitude des faits doit être soigneusement vérifiée avant qu'ils ne soient rapportés. Le parti pris positif comme négatif doit être éliminé des reportages et des nouvelles parlant des partis et des candidats. Un mécanisme efficace doit être mis en place afin d'examiner les plaintes concernant les inexactitudes et les injustices et d'offrir des solutions immédiates et efficaces telles que le droit de correction et le droit de réponse. Le droit ivoirien prévoit que tous les partis politiques se présentant à une élection doivent avoir un accès égal aux médias contrôlés par l'État pendant une campagne électorale qui est relativement courte. Bien que cela soit un élément positif, il ne remplace pas des mesures qui devraient être prises pour assurer une couverture exacte et objective par les médias publics durant le reste du temps.

De plus, les journalistes et les médias privés doivent adopter des normes de déontologie qui assurent une couverture médiatique exacte et équilibrée. Les partis et les candidats doivent éviter les déclarations inexactes et incendiaires sur leurs concurrents car un tel comportement peut polariser encore davantage le discours politique du pays.

Élargissement de la participation.  Les responsables actuels de la Côte d'Ivoire, de concert avec les partis politiques et les associations civiles, doivent faire en sorte que le plus grand nombre d'Ivoiriens possible participe à l'élaboration et à la mise en œuvre des réglementations régissant les institutions et la gouvernance en Côte d'Ivoire.  Ceci comprend l'éducation civique portant sur l'importance de la démocratie, la société civile, le besoin d'exercer le droit de vote, les procédures d'inscription sur les listes électorales, et les démarches à suivre pour voter. Étant donné que l'on prévoit une transition avant le retour au pouvoir civil et démocratique, l'élargissement de la participation au processus électoral et à d'autres processus politiques reste capital. Des organisations ivoiriennes impartiales devraient être habilitées à surveiller et à faire des reportages sur le processus électoral et les processus politiques en toute liberté et sous tous leurs angles. Cela contribuera à une participation accrue des citoyens et à une plus grande confiance du public dans le fait que ces processus sont en train de se développer démocratiquement.

Inscription des électeurs sur les listes et préparatifs liés aux élections. Les responsables de l'administration électorale et de l'inscription sur les listes doivent appliquer une méthode neutre et efficace de mise à jour des listes qui permette de dresser des listes électorales fiables facilitant la participation d'un maximum d'Ivoiriens au processus électoral. Tous les Ivoiriens remplissant les conditions doivent s'inscrire sur les listes afin d’être en mesure d'exercer leur droit de vote.

Le NDI tient à réaffirmer son engagement dans le soutien du processus démocratique en Côte d'Ivoire.  Il poursuivra son activité d'observation et de compte-rendu de la période de transition.



[1]

La délégation envoyée en Côte d'Ivoire était composée d'experts et d'analystes politiques:  Anne‑Emmanuelle Deysine, Professeur à l'université de Paris X‑Nanterre; Fernando Marques Da Costa, conseiller politique auprès du Président du Portugal; Ismaël Tidjani‑Serpos, député de l'Assemblée Nationale du Bénin et Président de la commission des lois de l'Assemblée; I. William Zartman, Directeur des études africaines et des programmes de résolution des conflits à l'École des hautes études internationales de l'université John Hopkins à Washington DC, et Christopher Fomunyoh, Directeur Régional du NDI pour l'Afrique de l'Ouest, Centrale, et de l'Est.

[2]

La délégation a effectué ses observations et ses conclusions en s'appuyant sur le travail du NDI en Côte d'Ivoire depuis 1992, sur l'analyse de la Constitution ivoirienne, du code électoral et des informations présentées à la délégation pendant ses réunions dans le pays. La délégation a rencontré des membres du gouvernement, y compris l'ex‑président, Henri Konan Bédié, des responsables des principaux partis politiques ivoiriens, des représentants de la société civile impliqués dans des activités de soutien au processus démocratique, des journalistes, des représentants religieux et syndicaux et autres Ivoiriens intéressés par le processus débouchant sur les élections de l'an 2000. La délégation a aussi rendu visite aux responsables du Rassemblement des Républicains (RDR) incarcérés à la Maison d'Arrêt et de Correction d'Abidjan (MACA).

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