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ISSUES
L’Assemblée nationale de la République Centrafricaine a adopté, lors de sa session ordinaire du 09 novembre 2016, la loi instituant la parité entre les hommes et les femmes. La parité est définie comme « l’égalité numérique des hommes et des femmes aux mandats électoraux, aux fonctions électives et aux postes à caractère nominatif dans les secteurs publics et privés ».
Soutien politique
Elle était adoptée avec 86 voix favorables contre 21 voix non favorables et 08 abstentions. Vingt – cinq (25) députés n’ont pas assisté à la session plénière et n’ont pas donné de mandat ; un comportement passif qui pourrait être interprété comme un désintéressement par rapport à la problématique de la parité homme/femme.
En l’absence de groupes parlementaires dûment constitués conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale (Conformément à l’article 12, alinéa 5 du Règlement intérieur de 2006, « un groupe ne peut être reconnu administrativement constitué que s'il réunit au moins 5 membres), il est difficile d’appréhender les courants politiques qui s’étaient exprimés. La majorité de 61% exprimée en faveur de la loi constituerait, sans nul doute, les soutiens à la fois du Président de la République Faustin A. Touadera dont le gouvernement a élaboré et soumis le projet de loi et du Président de l’Assemblée nationale Karim Meckassoua qui a appelé au vote massif en faveur de la loi.
Cette loi est inédite dans un contexte centrafricain où les disparités entre les hommes et les femmes dans les postes de décision au sein de l’administration publique sont profondes, comme l’indique le tableau ci-dessous. Pourtant, les femmes représentent 50,7% de la population générale estimée à 5 030 201 habitants (Source : Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, 2015).
Institutions |
Ministres |
Députés |
Préfets |
Sous-préfets |
Maires |
|||||
Femmes |
4 |
17% |
11 |
8% |
2 |
13% |
6 |
8% |
23 |
13% |
Hommes |
19 |
83% |
129 |
92% |
14 |
87% |
65 |
92% |
153 |
87% |
Les députés de la sixième législature constituée à 92% des hommes, après la longue crise militaro-politique et la période de transition que le pays a traversées du 24 mars 2013 au 31 mars 2016, ont ainsi pris leur responsabilité vis-à-vis de l’histoire en adoptant cette loi qui brise l’assertion selon laquelle les hommes en Centrafrique sont contre la promotion des femmes.
Pour la plupart des observateurs de la vie socio-politique en Centrafrique, l’adoption de la loi sur la parité entre l’homme et la femme n’est que justice rendue à ces nombreuses femmes qui ont longtemps souffert des crises militaro-politiques récurrentes que le pays connait. Ces femmes ont, en effet, joué un rôle déterminant dans la transition pour la sortie de crise entre 2013 et 2016. Entre autres postes notables, des femmes ont dirigé les institutions clés de la transition : Mme Cathérine Samba-Panza, Présidente de la transition et deuxième Chef d’Etat dans l’histoire de l’Afrique francophone, et Mme Marie-Madeleine N’KOUET, Présidente de l’Autorité nationale des élections (ANE).
D’autres raisons pourraient également justifier la rapide adoption de cette loi. En effet, une semaine après son adoption s’était tenue la conférence des Donateurs de Bruxelles le 17 novembre 2016 pour obtenir le financement du Plan de relèvement et de consolidation de la Paix (Plan de relèvement et de consolidation de paix a été financé à hauteur de $2,2 milliards pour trois ans). Même si l’histoire a montré que le Président Faustin Archange Touadera était sensible à la promotion du genre quand il était Premier ministre en installant officiellement en 2009 le sous-comité national du Forum des femmes de la Région des Grands Lacs à Bangui, il est indéniable que la majorité des pays et organismes donateurs sont sensibles à la politique « genre » imprimée par l’actuel Exécutif à travers le vote de loi sur la parité entre les hommes et les femmes.
Application aux secteurs publics ainsi que privés
La nouvelle loi présente beaucoup de particularités. D’abord, c’est la première fois qu’une loi sur la parité entre l’homme et la femme est applicable pour le secteur privé et la société civile, posant ainsi la problématique de l’intrusion de l’Etat dans l’organisation et le fonctionnement des institutions privées et de la société civile. Il s’agit d’un risque d’atteinte au principe de libre concurrence pour les entreprises privées et d’une restriction des libertés d’association.
Ensuite, la loi sur la parité régit à la fois les postes électifs et nominatifs. Si les postes électifs ne requièrent souvent pas des compétences spécifiques ou un niveau d’étude donné, la nomination aux postes nominatifs respectera des critères de qualification spécifiques. Nonobstant l’exigence de la compétence dans l’application du principe de quota par l’article 6 de la loi, la réalité du pays où plus de 68% des femmes sont analphabètes rend improbable l’applicabilité stricte de cette loi sans porter préjudices au principe de mérite.
Les sanctions
Enfin, la loi a fait le choix de la sanction forte au détriment de mesures incitatives. L’article 7 prévoit la nullité de tout acte de l’Etat, des partis politiques, des collectivités, des institutions para publiques et privées et de la société civile qui n’intègre pas le système de quota de femmes aux instances de décision à caractère électif et nominatif. Il s’agit d’un quota de 35% des femmes pendant dix ans dès la promulgation de la loi, suivi par la parité (50%).
L’article 8 est aussi explicite sur les sanctions en disposant que « l’inobservation de la parité homme/femme à l’expiration du délai transitoire entraine également la nullité de l’acte mis en cause, sans préjudice des dommages-intérêts accordés par les juridictions compétentes ». Autrement dit, les auteurs de l’acte discriminatoire à l’endroit de la femme dans les postes de décision à caractère électif et nominatif peuvent être condamnés par les tribunaux pour réparation des préjudices subis. Cette situation pourrait ouvrir une boîte à pandore des procès au civil pour discrimination.
Recommandations
Nonobstant les défis immédiats liés au nombre limité de ressources humaines féminines qualifiées, la loi sur la parité homme/femme en RCA, une fois promulguée, aura le mérite de booster des actions en faveur de la scolarisation de la jeune fille, du leadership féminin et de la compétitivité des femmes au sein de toutes les couches sociales du pays.
Les mesures incitatives, notamment la suppression de la caution et les dispenses de la présentation de la propriété bâtie pour les candidatures des femmes aux postes électifs, l’exonération et l’allègement de certaines charges fiscales pour les opérateurs privés et les organisations de la société ayant respecté les règles du quota et de la parité, devraient stimuler une pédagogie en faveur du civisme sensible au genre.
L’Observatoire National de la Parité homme/femme (ONP) a été institué comme un organe indépendant, doté d’un large pouvoir, pour faire le suivi et l’évaluation période de la mise en œuvre de la loi sur la parité. Son efficacité sera fonction des moyens humains, matériels, techniques et financiers dont il disposera.
L’ensemble des parties prenantes doit veiller à la prise de tous les textes d’application de la présente loi dans un plus bref délai afin d’éviter qu’elle ne soit désuète.